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1.2 Des feux cérémoniels en Corse

MULTEDO Roccu 1995. L’ILE DES SORTILEGES : DES FEUX CEREMONIELS EN CORSE
« FEU SACRE – FEU PROFANE ». Draguignan, MATP, 1995, 194 pages + illustrations
 
Abstract. Les sorciers partout accusés d'être des incendiaires, se seraient-ils réfugiés en Corse, les incendies étant l'un des fléaux de l'île? Leur seul contact provoquait une brûlure et desséchait le maléficié. Cette dessication n'est pas inconnue dans l'île, une "signatora" (guérisseuse) ayant signalé à Thomasine ROTILY-FORCIOLI que "le mauvais oeil sèche les poumons"[1]. On la retrouve dans certaines imprécations comme, par exemple: "Ch'elle ti secchinu e mani!" (Que tes mains se dessèchent!"), ou encore:"Ch'ellu ti venga u focu!" (Que tu puisses contracter une maladie de la peau!).[2]
 
Un proverbe dit:"Donne è focu, dannu per ogni locu!" (Femmes et feu, dégâts en tous lieux!), la femme étant considérée souvent comme une diablesse et l'expression "feu à volonté! se dit en corse "Focu à diavandulina!" (à la diable)
Comme le prétend Thomasine Rotily-Forcioli pour les "signatore", les sorcières de la tradition populaire ("mazzere" en Corse) seraient aussi des guérisseuses, selon N. Jacques-Chaquin, qui ajoute que la proximité des Forgerons irait dans ce sens. Il est à noter que forgeron se dit en basque "Arrotza et que, curieusement, un des noms corses de l'enterrement fantôme (la "squadra d'Arrozza") parait bien ressemblant. Comme dans le Carnaval romain, chaque participant de cet escadron porte un cierge et essaie de le passer au voyageur éventuel qui sera incorporé à la bande, pour le cas où il ne parviendrait pas à se débarasser du cierge, devenu un bras d'enfant entre ses mains. Il est souvent question d'enfants non baptisés ("turchi") dans le folklore insulaire. Avec les éléments solides des dits enfants qu'elles tuaient, les sorcières fabriquaient un onguent dont N. Jacques-Chaquin nous dit qu'il les aidait à effectuer "en corps" (en corse "in vita") leurs transports en tous genres.
Cependant, lorsqu'il est vraiment domestiqué, le feu est aussi associé à la joie: "Chanter, boire, la maison brûle!" se dit en corse: "Focu à a ceppa!" (Feu à la souche!).
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il convient de parler d'un feu mystérieux qui défraya la chronique jusqu'en I928. Dans la non moins mystérieuse vallée de Gravona, le feu du Bussu, un hameau de Bucugnanu, est censé avoir représenté l'âme du Seigneur de ces lieux. A l'endroit même où il est enterré, au lieu-dit "Serraghju", le feu apparaissait surtout par les nuits chaudes de l'été. On raconte que, s'étant attardé à la chasse avec un seigneur du voisinage, notre hobereau s'était mis fort en colère lorsqu'il s'aperçut que son chapelain avait commencé la messe sans lui. Il le tua sur le champ. A la mort du seigneur, le feu insolite commença à se manifester. Le célèbre astronome Camille Flammarion, le bien nommé, était même venu étudier le phénomène qui disparaissait à mesure que l'on s'en éloignait. Le feu survécut trois années à la mort de Flammarion.
Après I928, une bergère s'installa au ''Serraghjul', non loin de la maison de Ziu Camellu, sur l'emplacement même du feu qui, aussitôt, fut remplacé par mille autres feux: ceux des lucioles qui prirent possession des lieux. Ce sont les "lazareghji", selon M. Paul Silvani, et les "fiammacali", selon Charles de la Morandière (in "Au coeur de la Corse: Le Niolo", Paris, 1933) Plusieurs autres auteurs comme Jean-Marc Salvadori ("L'Ame Corse") et Peretti dit "Petti Rossu" ("U Focu di u Bussu" in "L'Annu Corsu") en ont longuement parlé. Alain (1868-1951) dit que "le feu follet devient soit l'âme des morts, selon les uns, soit l'hydrogène sulfuré, selon d'autres."
On l'explique aussi par la présence sur les lieux d'un champignon fluorescent, le clitocybe de l'olivier. Une autre hypothèse peut être celle d'un cours d'eau souterrain qui expliquerait la présence des lucioles qui justement fréquentent les lieux humides. Il y en avait des myriades à Bastia, le long du ruisseau du Nucellu, avant leur disparition due à la pollution. L'eau et le feu peuvent être associés. N'est-ce pas Vulcanus, le dieu du feu, qui, par les failles de ses volcans, lance les eaux minérales et thermales? Il y a lieu de noter, d'ailleurs, que le hameau de Bussu est situé au confluent de la rivière Gravona et d'un ruisseau descendant du mont Migliarellu (2254 m) où est l'unique glacier de Corse, connu sous le nom de "glacier de Bussu"[3].
Parmi le riche ensemble des feux cérémoniels corses[4], il faut mentionner ceux qui se tenaient la veille de la Saint-Pancrace (11 mai) tant à Castineta qu’à Merusaglia, village natal de Pascal Paoli décédé en 1807 à Londres où, conformément à son testament, son corps fut déposé à l’église du cimetière Saint-Pancrace. Ce sont “I fochi Paoli”. A Merusaglia, ils avaient lieu sur la place du couvent et étaient alimentés par les enfants de l’école.
Il n’y a pas lieu non plus de s’étendre sur les feux de la Saint-Jean, étudiés par Arnold Van Gennep[5].. Ajoutons cependant que, comme sur la montagne Sainte-Victoire, en pays aixois, les bergers du Niolu, dispersés en montagne, y allumaient de grands feux que l’on apercevait de loin sur les sommets et que celui, haut de 1484 mètres, qui sépare Pied’Orezza de Cambia, a pris pour cette raison, le nom de “I Fochi di San Ghjuvanni” (Les Feux de la Saint-Jean).
C'est dans la nuit du 3I juillet au Ier août qu'a lieu, chaque année la "mandraca”: on appelle ainsi la bataille entre les "mazzeri" (tueurs en esprit) de deux "pievi" géographiquement et ethniquement différentes. Du sort de la bataille dépendra, pour la communauté victorieuse, une absence ou une moindre mortalité dans l'année qui suivra. La “mandraca” est un exutoire nécessaire au motif qu'elle verra la mort de certains des combattants: il faut bien que les "mazzeri" meurent aussi. Pour empêcher leur mort et ce, notamment dans le centre-sud de l'ile, des feux de “murza” ou "murella” (immortelle sauvage) ou des cônes de pin sont allumés, afin que les combattants puissent mieux distinguer leur chemin. De même,"lorsque le chaman tongouse (Mandchourie) se bat contre les esprits du monde des ténèbres, les assistants font des étincelles avec des pierre à fusil: ce sont les "éclairs" grâce auxquels le chaman pourra voir son chemin"[6].
“A Rosazia, dans le Cruzinu, le feu est allumé en dernier lieu pour permettre à l'âme du comte Belbruni (qui fut tué par le roi maure Ugolone… au X° siècle) de rentrer sans encombre à "Tombalu" où son corps repose près des ruines de son château"… "Selon un témoignage recuellli par Santu Casta, ces feux sont encore allumés dans la "pieve" de Cruzinu "afin que les "mazzeri" qui arrivent de la plaine puissent avoir assez d'espace pour emprunter sans embûche les grands chemins et ne soient pas tentés de pénétrer dans les maisons du village'' (R. MULTEDO, op. cité, p.IOO)
La famllle qul, à Salice (Cruzinu), continue à allumer "u focu di i mazzeri" aurait importé lointainement cette coutume de Bonifacio où ce feu marquait, le 3I juillet, la fin des durs travaux de ramassage du sel.”[7]
Des feux similaires dits aussi "fochi di i morti" et "calendi d'agusti" (selon l'archiprêtre François SARAVELLI-RETALI, "Si Sartene m'était conté") sont allumés également à Santa-Lucia di Tallanu, Foce-Bilzesi, Palleca et Chisà…
C'est également le jour de la St-Pierre aux Liens qu'ont lieu des foires: au col de Pratu, au pied du mont San Petrone, à Vivariu dont le patron est saint Pierre, et à Zicavu, sur le plateau du Coscionu où, selon la légende, saint Pierre arrêta la peste, qui menaçait le village, en la brûlant comme s'il s'agissait d'une sorcière: c'est pourquoi, au soir du 31 juillet "on rallume le bûcher qui neutralisa Dame Peste"[8]
La chapelle Saint-Pierre du Coscionu, qui avait été restaurée en 1630, fut reconstruite en 1871 en éxécution du voeu de Ventura Leccia, revenu sain et sauf de la guerre. Aujourd'hui, la commémoration de l'exorcisme de la peste est devenue une fête villageoise. Les bergers et les villageois se rassemblent autour de la famille Leccia pour un méchoui devant un grand feu et, le lendemain, pour la procession.
D'autres chapelles bâties sur les hauteurs, étaient consacrées à saint Pierre comme celle ruinée du col de Vizzavona, commune de Vivariu. Cette fête remplace celle des Macchabées, ces sept frères qui furent martyrisés en 168 pour leur fidélité à la loi de Moïse. La nuit du 31 juillet au 1er août était aussi l'un des quatre grands sabbats annuels consacrés par les Celtes à Lugnasad.
Dans la "piana d'Afretu", région de Portivechju, c'est un Ier août que le "mazzeru" Piobbeta, déguisé en cerf, mit à mort le tyran Orsu Alamanu qui imposait à ses vassaux le droit de jambage[9].
C'est curieusement au même endroit et le même soir qu'est exécuté "l'abominable homme des lièges" personnifié sous le nom de "Luddareddu" (Petit Juillet): sous la forme d'un mannequin fait de liège et de paille, vêtu de velours côtelé, "Luddareddu” sera pendu après un procès de pure forme: promené dans la ville de Portivechju, au milieu des sarcasmes, il sera, après sa pendaison, livré aux flammes à minuit.
"En 1943, la Résistance à l'occupant Italien se faisant plus pressante, quelques adolescents de Portivehju voulurent… promener le mannequin de paille à travers les rues de la ville. Un résistant leur donna l'idée de déguiser Luddareddu en 'chemise noire', sorte de défi à l'occupant. Le mannequin, qui avait été confectionné en cachette… fut donc porté en procession devant la gendarmerie pour le brûler, en chantant: 'O Mussulì chi ti ne vai!' (Oh Mussolini, tu t'en vas!), véritable affront que le colonel des 'Camiscie Nere' ne pouvait tolérer… Les italiens tentèrent d'interpeller les jeunes gens dont la plupart réussirent à s'enfuir. Seul Jean Biancarelli (Bayard) et Charles Guerra furent pris et interrogés… Les italiens voulaient savoir qui les avait poussés à réaliser cette mascarade, mais aucun d'eux ne parla. Ils furent finalement relachés."[10]
On peut rattacher cette coutume à celle du feu des "mazzeri" qui, ainsi que nous l'avons vu ci-dessus, est encore en usage dans diverses contrées du Sud (Tallanu, Sartene, Zicavu et, anciennement, Bonifacio). S'y ajoute, dans la "cité du sel", le soulagement, pour ses habitants, de voir la fin, sous une chaleur torride, des rudes travaux que sont le "démasclage" et le lavage du liège la récolte du sel, son transport aux entrepots et, naguère, la fenaison et le battage du blé.
La fin juillet met un terme au séjour forcé dans la plaine de ceux pour qui leur village de montagne a pris le nom d'Ospedale (Hôpital) à tel point ils avaient besoin d'une cure de repos et de soin: ils avaient souffert durant un long mois de la canicule, des insomnies, des piqûres souvent mortelles de la "zinevra” (malmignate) et des anophèles, (en Corse "zarabicchi", connus en Provence sous le même nom “d’arabiques").
On peut donc voir aussi dans le bûcher de “Luddareddu”, ce bouc émissaire, l'expulsion du "mauvais génie", le rituel de la "Vieille de Sainte-Agathe" qui est "la personnification de la mauvaise saison"[11].
"On peut penser également au rituel de la dernière gerbe, façonnée en Orient en un mannequin représentant une Vieille, mise à mort, ainsi que l'était à Rome, aux Ides de mars, la divinité Anna Perenna, incarnation de la succession des ans" (V. R. MULTEDO, “Le Mazzerisme…", op. cit., p. 1O9)[12].
Les habitants du "Nebbiu, pendant la nuit qui précède la Toussaint, allumaient de grands feux dans les églises. Ils sonnent les cloches à toute volée et, lorsque chacun est rendu, la personne la plus riche prend un sac, entre dans chaque maison et distribue ensuite le produit de la quête entre tous les nécessiteux"[13]. C'était en 1869 mais de tels feux sont encore allumés de nos jours dans la nuit du 1er novembre.
Cette nuit-là, "à Cargiaca, on place derrière la porte la “rustaghja” (serpe à long manche) et la "piola" (cognée) pour se préserver de certains morts qui provoquent "l'acciaccatura" (le mauvais oeil).
A Foce-Bilzesi, les mêmes pratiques ont lieu pendant la nuit du 31 juillet évoquée plus haut. On y ajoute cependant la "falce" (faucille) et la "pinnatu" (serpe robuste) que l'on place à l'extérieur de la maison, soit sur le rebord de Ia fenêtre, soit sur le seuil. En revanche, à Figari, ces outils sont exposés dans le "compulu" (parc à bestiaux) afin de préserver le troupeau – autant par le tranchant que par brillance du métal – des enchantements des morts"[14].
Si les feux du Ier novembre sont consacrés aux défunts, tant en Bretagne qu'en Corse, ceux de Sari-Sulinzara (Informateur Mme Jacques Sanguinetti) et de Pila-Canale sortent quelque peu de l'ordinaire:
"Cette nuit-là, dès 21 heures, et durant toute la nuit jusquà l'aube, les hommes du village se relaient pour faire résonner les cloches. Chacun vient "sonner" pour ses propres morts en donnant une sonorité qui n'est pas ceIIe du glas. Pendant ce temps, devant l'église, le "caldarustu" (ou "testu": poele à rôtir les marrons) est actionné devant un grand feu et l'on griIle les châtaignes que tout le monde vient déguster, accompagnées d'un verre de vin. Durant cetta nuit, les fenêtres des maisons restent ouvertes pour permettre à ceux qui ne peuvent se déplacer d'entendre les cloches et de communier ainsi avec les défunts. A Pila Canale, M. P…, qui travaille à Paris, vient spécialement de la capitale pour indiquer à chacun le "secret" de la sonorité qu'il faut donner aux cloches ce soir-là.
Ce rite, qui se faisait naguère un peu partout dans l'Ornanu et le Fiumorbu, a pour nom "Ognunu da u so chjoccu" (Chacun son tintement de cloche)[15].
Les cloches et le feu voisinaient déjà dans le culte de sainte Agathe.
A Ascu, on disait que le soir chacun "venia à sunà e tre campane à i so morti." (venait sonner les trois cloches à ses morts, expression que l'on retrouve dans une comptine). L'écrivain Antoniu Trojani (6/11/1987) ajoute que lors de la procession à la mémoire des morts, les hommes portaient "l'insegna" (la bannière) de saint Michel, et les femmes celle des morts. Si l'une de ces bannières penchait par exemple du côté des femmes, on disait alors que le premier défunt du village serait une femme.
A la Noël, on se sépare à minuit, à Soriu et Lavatoghju, pour aller faire le réveillon traditionnel ou participer aux veillées (sept, de préférence) au cours desquelles on apprendra les prières secrètes (segni, incantesimi) pour guérir les affections psychosomatiques ou mécaniques dont peuvent souffrir tant les humains que les animaux.
Ce savoir du (ou de la) "signadore" sur "l'ochju" (mauvais oeil), "bon nombre de personnes s'empressent de le consulter car, aprés minuit, il doit se taire jusqu'au jour de l'Ascension, ces prières ne pouvant s'apprendre que le jour de la venue du Christ sur la terre et le iour de son départ."[16]
Notons cependant que "c'est à Pâques, le vendredi saint, que l'on peut révéler les exorcismes contre la méningite et les maux d'oreille, dans certaines localités de la Castagniccia, de même que, chez les "pieds noirs", l'exorcisme dit "amphita, contre l'embarras gastrique et même contre la jalousie!"[17]
Nous avons vu que dans certaines régions, on prélevait, dans les bûchers du samedi saint et de la Saint-Jean, des tisons que l'on emportait chez soi: à Sotta, on les gardait pour exorciser la maladie du charbon qui affectait les animaux. Le tison portait le nom de "vivu": le vivant. Rien de pareil pour le feu de Noël. Thomasine ROTILY-FORCIOLI (op.cit.) rapporte cependant, pour Arbiddà, la pratique dite de la "sfumata", fumée bienfaisante "qui enlève toutes les mauvaises choses". Ce rituel s'impose, ajoute-t-elle, "dans les situations d'imbuscata" (Il s'agit du mauvais oeil transmis par les morts et par les "mazzeri"). "L'imbuscata" est également nommée "respiration des morts" et "ansciata" dans le Fiumorbu (le souffle) (Cf."Le folklore nagique de la Corse, op.cit., p.348).
La "signadora", dans ce cas, dit du malade qu"'il faut le "défumer" (sfumallu"). Elle brûle sur une tuile "corse" (Elle précise "pas française": il s'agit en fait d'une tuile romaine en terre cuite.) ou sur un couvercle de marmite trois morceaux de charbon prélevés sur la bûche de Noël, "par elle-même magique", trois brins de la branche d'olivier bénite le iour des Rameaux; trois rameaux d'arbousier cueillis la veille du jour de l'an, et l'on peut y ajouter trois fragments de cierge. "La 'sfumadora' tourne alors dans le sens de la marche du soleil, autour du patient, en tenant d'une main la tuile d'où s'élève la fumée et, de l'autre, décrit des croix en direction du patient, tout en murmurant des paroles magiques. Après tant de soins le malade est guéri et elle ne peut plus le "signer" avant quelques jours, car Ia fumée paraîtrait dans l'huile et rendrait la 'signature' impossible."
Un ouvrage de 1985 rappelle qu'il y a quelques années, "à Mola (hameau de Sotta), on tracait trois cercles autour d'un animal ou d'une personne malade -en récitant un "Notre Père" et un "Je vous salue Marie"- au moyen d'une tuile sur laquelle brûlaient une feuille d'arbousier cueillie le jour de l'an, des morceaux d'un oeuf de l'Ascension et du charbon de la bûche de Noël, un brin d'olivier bénit, un peu de cire du cierge de la Chandeleur ou du"Miserere"; les cendres étaient ensuite jetées dans le feu. A Ceccia et à Petra Lunga Salvini, autres hameaux de Sotta, des femmes cueillaient des immortelles, de la lavande et différentes plantes sauvages qu'elles tressaient en couronnes. Ces couronnes étaient bénies, conservées en signe de protection, puis, l'année suivante, brûlées dans le feu de Noël. Aux immortelles est attribuée dans certaines régions (Monte d'Oru et Prupià), la vertu de chasser les sorciers et les puissances du mal"[18].
Ajoutons qu’il est de tradition à Calvi de brûler de vieilles barques dans le bûcher de Noël[19], ainsi qu’on le fait à Monaco le 27 janvier et en Provence pour la Saint-Pierre, et que cette tradition est suivie par intermittence à Saint-Florent[20]. Les barques étant actuellement en matière plastique cette tradition est en voie d’extinction.
Ainsi, tout au long de l’année, des bords de la Tyrrhénienne à la Méditerranée, l’île de Corse continue à être jalonnée de feux de joie et de la foi chrétienne la plus profonde qui soit.
Or, cette joie pourrait n’être qu’apparente. Ne servirait-elle pas d’exutoire, voire d’exorcisme, à ce qu’il y a de maléfique dans le feu. Cet aspect de l’île, que j’évoquais plus haut, à propos de ces sorciers qui semaient l’incendie sous leurs pas, fait que, le feu n’étant que l’un de ses fléaux, la Corse demeure l’Ile des Sortilèges.

[1] Les "Signatore": Des rites medico-religieux en Corse", Mémoire pour la maîtrise d'ethnologie, Université Paul-Valery, Montpellier III, I983-84.

[2] Le mot "focu" (peau) entre dans la composition des maladies de la peau comme l'herpès, l'ergotisme gangréneux et, plus tard, le zona, affections qui s'appellent, tant en corse qu'en italien, "focu" (ou fuoco) di Sant'Antone (ou Antonio)", ou encore l'urticaire: "focu purcinu" (feu porcin). Ces feux se rattachent à la vie de St Antoine-abbé (25I-356) que le démon harcelait nuit et jour par des images obscènes. "Antoine sut résister à ses assauts… jusqu'à ce que finalement Satan s'avoua vaincu". Il revint néanmoins à la charge jusqu'à ce que, le voyant battu presque à mort, Dieu promit à Antoine de le protéger toujours." Le cochon (qui l'accompagne) représentait à l'origine le démon.

[3] Michel FABRIKANT: Guide des montagnes corses. Chaine du Migliarellu, p. 281 , édit. Didier Richard, Grenoble, I982.

[4] Citons pour mémoire des feux que l'on allume encore ou que l'on allumait naguère les 12 mars et 14 septembre en l'honneur de saint Mamilianu, le 13 juin à Santa-Reparata di Moriani (Saint-Antoine de Padoue), le 10 août à Letia (Saint-Laurent), le 15 août à Ajaccio et Stazzona (Sainte-Marie), le 16 août à Tarranu (Saint-Roch), le 4 novembre à Luri (Saint-Charles) et le 31 décembre à Santa-Lucia di Mercuriu (Saint-Sylvestre).

[5] “Du berceau à la tombe. Cérémonies périodiques” in “Manuel de Folklore Contemporain”, Paris, Picard, 1937-1943

[6] Mircea ELIADE, Le shamanisme et les techniques archaïques de l'extase", Payot, Paris, 1974, cité par R. MULTEDO, in “Le Mazzerisme", un Chamanisme Corse, Ed. L'Originel, Coll. Terres de Tradition, Paris, 1994, p.99.

[7] Informateur M. Louis PIETRI. Voir aussi "Le feu de Salice" in "Corse-Matin" du 9 Janvier I99I.

[8] Linda PERETTI, "Zicavu, une belle fête" in "La Corse" du 31 iuillet I990

[9] Paul AIMES, archiviste de la Corse, Archivio Storico di Corsica, Milano, 1937.

[10] CIABRINI, Pierre, "Une vieille tradition populaire: Pourquoi 'Luddareddu' ne serait-il pas ressuscité?", in "La Corse" du 1° août 1993

[11] Fernand BENOIT,"La Provence et le Comtat Venaissin", Gallimard, 1949.

[12] Malgré une éclipse de quelques années, Luddareddu devait connaître en 1991, un retour spectaculaire. La “maladetta” à exorciser n'était plus, comme autrefois, la "malaria" mais les "ventes sauvages" de quelques "experts en l'art de la mobilité et de la volatilité" qui opéraient, au détriment des commerçants de Portivechju, sur les plages à la mode de San-Ciprianu, Cala Rossa et Palombaggia. Alors que dans la haute ville une partie de la population participait à une "nuit tango" organisée par la municipalité, des membres de la "Federazione di i cummercianti ed artisgiani" élevaient, sur la place de la "marine", un bûcher composé de dix mille maillots de bain, sacs de plage et autres jupettes venus de l'étranger et qu ils venaient de confisquer au domicile d'un marchand ambulant mis hors la loi. Vers 22 heures, ces milliers d'articles furent, en partie, jetés à la population médusée lors d'un défilé d'avertisseurs bloqués, avant d'être détruits par le feu. Les touristes qui pensaient à une coutume locale ne croyaient pas si bien dire. On leur fit l'historique de Luddareddu brûlé le dernier jour de juillet par les habitants avant de fuir la vllle pour retrouver la fraîcheur de la montagne et du hameau de l'Ospedale. Cf. les articles de Louis BERNARDINI in "Corse-Matin" et de Jean DONIGNAZI, in "La Corse" du 2 août 1991.

[13] Léonard DE SAINT-GERMAIN,"Itinéraire et Histoire de la Corse", Paris, 1869.

[14] R. MULTEDO, op.cit. p.107

[15] A.C., in "La Corse" du 3 novembre I994.

[16] Charles ALBERTINI, in “Corse-Matin”, 25 novembre 1994.

[17] Cf R. MULTEDO, "Le Folklore magique de la Corse", Ed. Belisane, Nice, 1982, p.8. Le samedi saint, c'est dans le bûcher dit du "focu novu" ou "focu benedettu" (feu nouveau ou bénit) que l'on brûle, notamment à Sartène, sur la place de l'église, les rameaux de l'année précédente, et qu'à Ajaccio les enfants, aux cris de "Frère Jacques", allumaient leur original bûcher. Cf. à ce sujet les articles de "La Corse" du 4.4.1994 (Drance SAMPIERI) & 16.4.1995 (Jean-Jacques GAMBARELLI).

[18] Arburi, arbe, arbigliule"; op. cit.

[19] Chanoine Jh. FLORI, “Corse Matin”, 28-12-1989 et Mme Jeanne MAESTRACCI-KEREFOFF

[20] Cf. Bruno SBORGI, in “Corse-Matin” (Noël 1981) & François GUARNIERI, “Corse-Matin”, 15-12-1986 et Noël 1987. Cette tradition, tant à Saint-Florent où l'on remplissait de paille les "relitti di mare" (épaves), qu'à Bastia, remonterait à des temps immémoriaux, selon les vieux pêcheurs Antonetti et Pierre Fusella.
 
Lire aussi: Roccu MULTEDO, Le folklore magique de la Corse Lien
 
 
 
 
 

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