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Espace prive Espace public

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Essai de sémiologie de l’urbanisme méditerranéen. Statut : recherche en cours. Illustration: Istanbul 2010

Sommaire

  1. Urbanisme et anthropologie: typologie de l’espace urbain
  2. Urbanisme et  Ostentation: le commerce
  1. Urbanisme et anthropologie: typologie de l’espace urbain

Espace privé – espace public. Les villes concentrent désormais l’essentiel de la population de la planète et ces évolutions remettent en cause les anciens modèles de sociabilité. L’opposition entre espace public et espace privé est un élément majeur pour comprendre la dynamique d’une société. L’anthropologue Abraham Moles estimait à ce propos que tout espace social possède un double caractère, à la fois sociofuge et sociopète. Cette double dimension permettrait selon lui de favoriser le contact entre les individus tout en maintenant les distances entre les groupes sociaux. Les rues, places et commerces sont des institutions centrales de l’espace urbain. Elles illustrent plus particulièrement la fonction sociale de l’urbanité en permettant aux acteurs de s’insérer dans des réseaux plus vastes. Nos recherches en cours s’efforcent d’en comprendre les modalités, au travers d’observations menées dans le monde méditerranéen.

Urbi et Orbi. Les groupes humains ne sont pas uniquement rattachés à leur lieu de résidence, mais à l’ensemble géographique plus vaste des espaces avec lesquels ils sont en relation. Ces interactions spatiales complexes reposent sur des facteurs objectifs, basés essentiellement sur la complémentarité économique, mais aussi sur des représentations subjectives qui relèvent de l’ostentation, voire de la cosmologie. La ville est de ce point de vue un espace social central, produit par ces mêmes groupes humains au travers des pratiques et des institutions qui l’organisent et la mettent en valeur. Ses principales fonctions relèvent de l’habitat, des échanges commerciaux et culturels, de la cohésion sociale notamment militaire ou religieuse, ou encore du partage et de l’exploitation administrative des ressources.

L’espace de la rue. La dialectique qui oppose espace public et espace privé est particulièrement importante dans les villes, lieux de brassages par excellence au travers de leurs rues, de leurs places et de leurs modes de déplacement. Les études de la foule comme phénomène sociologique abordent rarement la spécificité des interactions qui se déroulent dans le cadre urbain. L’espace urbain est tout d’abord dépourvu, de ce point de vue, des obligations de civilité de la vie villageoise. Une même forme d’anonymat concerne les maisons et les immeubles qui la bordent. La gestion de cet espace est devenue de nos jours l’enjeu permanent de tensions entre les acteurs publics et privés.

Jardins prives et espaces verts. Les espaces verts urbains constituent l’un des lieux modernes de médiation entre les deux pôles de la vie sociale que représentent les espaces publics et privés. Les espaces verts sont en effet une invention récente en matière d’urbanisme, à la différence des jardins privés beaucoup plus anciens. Ces derniers ont connu un développement sans précédent avec l’essor de l’urbanisme pavillonnaire. Ils possèdent de nouvelles dimensions, une dimension ostentatoire héritée de leur caractère originellement nobiliaire, une dimension hygiéniste qui remonte au 19ème siècle et une dimension traditionnelle et populaire issue de la ruralité. Les études des interactions entre espaces verts et jardins privés sont relativement rares. Les standards des espaces verts urbains sont par contre mieux connus.

Les cimetières. Le cimetière est un lieu central de transition entre l’espace privé et l’espace public, en tant qu’espace de sociabilité à la fois ouvert à tous tout en abritant l’intimité des familles et des communautés. Les cimetières apparaissent au début du 19ème siècle en Europe sous leur forme moderne, qui répondait aux impératifs hygiénistes de l’époque. Ils fournissent des informations intéressantes sur la généalogie et la structure sociale d’une société. Outre leur importance sociale, les cimetières possèdent par ailleurs une valeur historique et artistique. Généralement aménagés et parfois même paysagés, ils renferment notamment des œuvres d’art monumentales comme des formes originales d’art de tradition populaire. Le rôle des entreprises funéraires est fondamental en matière de standardisation des modèles, voire aussi par leur impact sur le déroulement des rituels civils ou religieux. Il en va de même de l’intervention des pouvoirs publics en matière d’aménagement. La scénographie d’un cimetière va dès lors se composer d’éléments codifiés, offrant et préservant dans le même temps une forme limitée d’intimité. Le monument funéraire s’apparente désormais à un dispositif de médiation entre espace privé et espace public d’un grand intérêt.

2. Urbanisme et  Ostentation: le commerce

Prospect & Ostentation. Les identités locales ou régionales relèvent de l’ensemble des espaces avec lesquels les communautés concernées sont en relation. En ce qui concerne les sociétés méditerranéennes, qui sont de longue date des civilisations urbaines, la ville représente l’un de ces espaces majeurs d’interactions. Ces interactions reposent notamment sur des représentations relevant de l’ostentation. La ville ne se laisse pas réduire à ses seules fonctions économiques. Elle est aussi de longue date, dans le monde méditerranéen, un espace doté d’une forte valeur symbolique. Les temples et les palais sont au centre de l’urbanisme antique, et ils le resteront dans le monde médiéval jusqu’à nos jours. Cette fonction d’ostentation donnera naissance dès le moyen-âge à Rome, aux prémisses de la notion moderne de patrimoine. Sous l’impulsion du tourisme, le marquage patrimonial de l’espace urbain est devenu de nos jours un élément fondamental de l’urbanisme. La ville méditerranéenne est ainsi une scène, où se laissent appréhender les stratégies des acteurs et les idéologies et les croyances dont ils se réclament.

Centre et Périphéries. Dans sa fonction d’organisation de l’espace social, la ville peut se décrire comme un ensemble de cercles concentriques. Il s’agit en quelque sorte d’un modèle gravitaire doté d’un (ou plusieurs) centre, qui polarise les activités et hiérarchise les flux, et de frontières qui définissent des discontinuités socio-spatiales. Cette image concentrique d’un cosmos centré autour du corps humain, de sa maison et de son terroir demeure dominante de nos jours. La présence de commerces joue un rôle de différenciation sociologique entre banlieues résidentielles et zones agricoles (dont ils sont absents), et les espaces urbains (villes et villages ainsi que zones commerciales). Leur présence entraîne en effet des formes spécifiques de sociabilité, de quartier au niveau des commerces de première nécessité mais aussi un marquage de type identitaire, patrimonial et communautaire au niveau des centres villes et plus récemment des zones commerciales situées en périphérie. Au travers de leur omniprésence visuelle dans l’espace public, les commerces jouent ainsi un rôle central dans l’identité de l’espace urbain.

Essai de typologie. Espace privé ayant pour vocation d’être ouvert au public, le commerce représente l’un des principaux lieux de transition entre ces deux sphères centrales de la vie sociale. Le voyageur qui parcourt les grandes métropoles méditerranéennes ne peut manquer d’être frappé par l’omniprésence du commerce. Il offre un étonnant mélange de boutiques et de produits, qui vont de l’artisanat traditionnel au commerce de trottoir et à l’hypermarché moderne en passant par l’industrie. Dans le monde traditionnel, les périphéries abritent par ailleurs des populations liées à des corporations particulières, comme les pêcheurs ou les tanneurs et les potiers. Au cours d’une vingtaine d’années d’observations des commerces et de leurs évolutions dans plusieurs grandes villes méditerranéennes, nous avons pu relever quelques-unes de leurs principales  caractéristiques. Nombre d’entre elles attestent d’un réel universalisme, car le commerce est par définition une institution sociale de dimension internationale qui impacte fortement les modèles urbanistiques nationaux.

Evolutions et permanences. L’analyse des évolutions récentes du commerce met en évidence sa permanence comme marqueur de l’espace vécu. Si la dimension urbaine du commerce remonte à une très haute antiquité, ses formes modernes impactent désormais les sociétés contemporaines dans le contexte de la mondialisation. Ces évolutions ont conduit à la naissance d’une nouvelle culture entrepreneuriale concernant des identités professionnelles très diverses. Le commerce moderne recouvre en effet des activités aussi variées que le négoce proprement dit, l’artisanat et certaines productions industrielles, les foires et marchés et la vente ambulante en général, ou encore la vente dite de gros, demi-gros et détail, la banque, etc.